Caraïbes FM, la métamorphose d’une perception



Il y a dix ans, à mes 21 ans, j’ai intégré la salle des nouvelles de Caraïbes FM qui, implicitement, avait la lourde responsabilité de fidéliser un auditoire, d’attirer d’autres et de participer à l’amélioration et á l’évolution d’un secteur qui avait à ramasser son lot de critiques, avec ses forces et faiblesses, après les évènements de février 2004.


À l’époque, l’union hétérogène conjoncturelle des forces politiques et de la société civile haïtiennes contre la démagogie et l’utilisation malsaine de la masse populaire touchait à sa fin. Chacun se repositionnait en fonction de certains intérêts sectoriels ou personnels.

Dans la mêlée, la presse n’avait pas à être naïve

En tant que leader de la presse dite indépendante, Caraïbes FM avait à rester rectiligne dans sa position de contrepouvoir pour ne pas se détourner de sa mission fondatrice: offrir aux sans-voix, aux laissés-pour-compte une plateforme d’expression qui ne dénature ni leurs langages ni leurs émotions.

La radio des racailles

En laissant la rue Villemenay en mai 2004, j’estime que j’étais assez polyvalent, que je saisissais assez bien le métier et que j’étais assez connu pour être accepté dans n’importe quelle station de radio ou de chaîne de télévision de la place. Et, pour avoir été dégauchi à Haïti Inter et être fraîchement sorti de la moule Kiskeya parallèlement à mes cours en communication sociale à la Faculté des sciences humaines de l’UEH, j’ose dire que j’avais été bien huilé pour être un bon journaliste n’importe où. Sans compter que j’avais l’audace et la curiosité intellectuelle obligatoires à ce métier.

Le choix que j’allais faire pour continuer ma carrière m’était vital. Décider est le pire exercice que je connais. Pour me faciliter la tâche, je supposais, j’ai été consulter certains amis et professeurs de l’UEH. À l’unanimité, ils ne me conseillaient pas le choix à faire mais celui à ne pas faire.Ils prétendaient que j’étais assez talentueux et que j’avais un assez bel avenir devant moi pour ne pas être à Caraïbes FM, car, en 2004 encore, cette dernière était, pour plus d’un, une machine à mobiliser les racailles, un espace « tout voum se do »… Tout un panel de qualificatifs irrespectueux des 55 ans de service de la radio à la communauté. Mais la plus étonnante et la plus drôle de toutes les critiques que j’avais eues à entendre reste, pour moi, cette phrase : « La radio Caraïbes est dans le monde de la radiodiffusion ce qu’est Sweet Micky dans le monde du compas, en faisant tort à Micky. » L’auteur de cette parole est aujourd’hui un bon ami de la radio et un cadre important de l’administration du président Martelly. Bref.

Entre mes incertitudes et mes questionnements, une femme a surgi. Ma mère. Je vivais loin d’elle, et à chaque fois qu’elle n’avait pas eu de mes nouvelles, j’avais le sentiment que les plaies de ma naissance s’ouvraient en elle. J’avoue, c’était injuste de ma part d’infliger cette douleur à cette femme qui a courtisé toutes les boues de Croix-des-Bossales et qui a connu, layettes en main, toutes les humiliations du marché Tête-Bœuf pour faire de moi un homme. Ce n’était pas loyal de faire ça à cette racaille qui écoute religieusement Caraïbes FM. Pour elle, rien que pour qu’elle m’écoute ou pour qu’une racaille-voisine lui dise que j’ai entendu ton fils à la radio aujourd’hui, j’avais fait choix de Caraïbes FM. Dieu merci, ce choix a été le bienvenu à la rue Chavannes. Dix ans après, l’expérience est, pour moi, gagnant-gagnant.

N’en déplaise à Patrick Moussignac, je me permets, ici et maintenant, de dévoiler les deux formules magiques qui, selon mes constats, ont permis ce que j’appelle l’obsession-Caraïbes ces dix dernières années.

Primo, la passion du risque

En intégrant l’équipe en juin 2004, j’ai vite compris que Caraïbes FM n’est pas une radio classique. Une radio d’école. Mais au contraire une radio antiradio. C’est fou mais c’est passionnant. En dix ans, je ne peux compter combien de fois Caraïbes FM a réinventé sa radio, a bouleversé son auditoire, a chambardé son marché…

Pour moi qui hais la monotonie, le linéaire, la famille Caraïbes m’a été le lieu idéal pour exposer mes compétences, mes talents mais surtout pour comprendre et apprendre à manier au quotidien les manies et les caprices d’une société méchante et hypocrite.
Ce qui est intéressant à Caraïbes FM, c’est qu’on n’est pas que reporteur, producteur, metteur en onde ou ménager. L’accès facile pour tous au directeur général permet qu’on puisse proposer, à tout moment, une idée ou un projet. On est appelé, par toutes ses capacités, à rendre plus fort l’institution jusqu’à l’illusion qu’il s’agit de sa propre entreprise. Parfois, on a l’impression que le vertical n’existe pas dans sa structure.
Grâce à cette possibilité, j’avais pu trouver ma place dans la famille en proposant, entre autres, la chronique Caraïbes-Culturelle et des sujets de reportage captivants qui ont amplifié le magma Caraïbes et font de moi un nom.

La passion du risque fait que la station surprend continuellement son auditoire. Pour cette raison, on aime lui coller, à tort, l’étiquette de radio à sensation. Étant dans sa cuisine depuis une décennie, je dirais de préférence qu’elle est une radio électrique. La différence est qu’en général la sensation est irréfléchie alors que l’électrique a toujours un but, celui de créer une onde, un choc, pour faire jaillir la lumière.

Si l’on suit la trajectoire Caraïbes à travers sa ligne éditoriale, l’on verra qu’elle n’a jamais tout à fait tort quand elle n’a pas du tout raison.

Le choix et l’engagement de la direction de la radio, lors des élections de 2010 en disent long sur son caractère électrique. Son positionnement pendant ces élections devrait pousser les critiques de la presse à se poser cette question salvatrice : pourquoi la radio la plus populaire ne s’alignait pas aux côtés du candidat le plus populaire ? C’eût été tellement plus logique, plus facile et normal.

Secundo, l’open mic

On est jamais ni trop intellectuel ni trop con pour exprimer ses émotions, sa passion, ses peines et ses joies sur Caraïbes FM.

Son équipe ne se range jamais en maître et seigneur derrière ses commentaires ou ses analyses. Après une frappe (Lol), on peut toujours réagir, répliquer avec sévérité.
Caraïbes FM, à mon avis, n’est pas une radio pro- masse parce qu’elle est de la masse, d’autres prouvent que ce n’est pas automatique, mais parce qu’elle se veut une agora, un lieu public (dans le sens haïtien du terme) où le ton est constamment en alternance entre le décalé et le sérieux, la cacophonie et le calme. Dès fois, tout y est même permis pour le rire ou les pleurs. Et ça marche !

Depuis quelque temps, on peut, si on veut être honnête, parler d’une épidémie Caraïbes sur les ondes.

Des taudis de Cité Caton aux villas de « je ne sais où » du pays, aujourd’hui, Caraïbes FM est une traversée de la société. Ce n’est plus cette radio qu’écoutaient les gens « de bien » en catimini, seuls dans leurs berlines, leurs ranges ou leurs bibliothèques à grandes étagères. Ce n’est peut-être plus le catalogue des mauvais exemples des salles de cours de la FASCH.
L’avantage est que la manière Caraïbes n’a point changé. Ce n’est pas non plus les gens « de bien » qui deviennent ou redeviennent des racailles mais les voiles d’une certaine hypocrisie qui s’effacent, un entrelacement social qui s’effectue, une dynamique sociale de compréhension mutuelle qui est en branle….

Jean Venel Casséus

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