Jacqueline Scott-Lemoine (1923-2011)

Thanks to: Michelle Mevs Portes, Thomas C. Spears and Giscard Bouchotte

Jacqueline Scott-Lemoine

Jacqueline Scott-Lemoine (1923-2011).
Nous venons d'apprendre avec une grande tristesse la mort de Jacqueline Scott-Lemoine, à Dakar.
La presse (française, sénégalaise et africaine, et haïtienne !) saura, j'espère, rendre convenable hommage à cette auteure, à cette grande dame de théâtre et à cette femme exceptionnelle qui est partie rejoindre son cher Lucien Scott-Lemoine, Jacqueline - île en île
www.lehman.cuny.edu
Après une formation classique – études au Collège du Sacré-Coeur (Filles de la Sagesse) puis au Lycée de Jeunes Filles d'Haïti où elle obtient son baccalauréat – Jacqueline Scott enchaîne avec l'Institut Commercial Maurice Laroche et la Croix Rouge de Port-au-Prince avec à la clé, un diplôme de sté...

Née Jacqueline Scott le 28 octobre 1923 d'un père ingénieur architecte et d'une mère institutrice à Port-au-Prince, Jacqueline Scott-Lemoine vit à Dakar, avec son mari, le poète Lucien Lemoine. Le 10 avril 1966, jour de son arrivée au Sénégal pour le Festival mondial des arts nègres (Fesman), elle sait déjà qu'elle ne va plus quitter l'Afrique, en l'occurrence, cette terre sénégalaise qui est devenue depuis la sienne. Il y a certes tout un symbolisme autour de ce voyage effectué dans un contexte qu'on n'a pas encore revu : Senghor, alors président du Sénégal, lance le Festival des arts nègres, la première fois, cette occasion unique, comme le rappelle Jacqueline, où on a vu « tous les drapeaux du monde : allumés ! tous les damnés de la terre : rédemptés ! ».



Après une formation classique – études au Collège du Sacré-Coeur (Filles de la Sagesse) puis au Lycée de Jeunes Filles d'Haïti où elle obtient son baccalauréat – Jacqueline Scott enchaîne avec l'Institut Commercial Maurice Laroche et la Croix Rouge de Port-au-Prince avec à la clé, un diplôme de sténodactylo et un autre en puériculture et premiers soins. Sa formation de comédienne peut alors débuter au Centre d'Art Dramatique de l'Institut Français d'Haïti avant de se poursuivre au Conservatoire d'Art Dramatique de Port-au-Prince. Elle y jouera plusieurs pièces, dont Negro spiritual d'Yves Jamiaque et Antigone d'Anouilh.

De 1950 à 1953, on la retrouve à l'Ambassade d'Haïti à Paris avant de s'établir en Haïti en 1956, après un court séjour à New York. C'est alors que l'Ambassadeur de l'époque en Haïti, Monsieur Charles Le Génissel, impressionné par ses émissions sur les antennes de Télé Haïti (Le Club 5), lui propose, en 1963, une bourse pour la Maison de la Radio en France. Elle y obtient un Certificat de stage de l'ORTF (Office de Radiodiffusion Télévision Française). Elle fréquente alors le tout-Paris culturel : des réalisateurs, des hommes de théâtre et des poètes, comme Louis Aragon, avant de rencontrer Jean-Marie Serreau qui lui propose le rôle de la reine dans La tragédie du roi Christophe d'Aimé Césaire. C'est le début d'une longue aventure à la fois dans la vie (elle épouse vite fait Lucien Lemoine au Consulat d'Haïti à Paris le 15 juillet 1964 et Aimé Césaire se retrouve comme premier témoin) et au théâtre où elle enchaînera plus d'une cinquantaine de rôles.



La Tragédie du roi Christophe est créée en 1964 par la Compagnie du Toucan en Autriche, puis fera le tour d'Europe, plusieurs villes françaises dont Paris avec une série au Théâtre de l'Odéon. En 1966, elle est retenue dans la programmation du Fesman à Dakar ; la représentation a eu lieu au Théâtre Daniel Sorano. Le public n'est pas des moindres : le président Senghor en personne mais aussi l'empereur Haïlé Sélassié, le neveu du roi du Maroc, Duke Ellington, Josephine Baker, Alioune Diop, Léon-Gontran Damas, James Baldwin, Abdou Diouf, Katherine Dunham, Langston Hughes et bien sûr, Aimé Césaire. Jacqueline Scott-Lemoine y interprète la reine puis restera pensionnaire du Sorano pendant plus de dix-huit ans.

À Dakar, le désormais couple de Jacqueline Scott-Lemoine et Lucien Lemoine (amants éternels, encore plus amoureux que le soir de la rencontre !) côtoie des compagnons de l'errance qui ne les quitteront pas, dont les poètes Jean Brière, Roger Dorsinville et Morisseau-Leroy : ces « législateurs non reconnus de l'univers », comme elle les appelle, les compatriotes qu'elle récite au détour de n'importe quelle conversation, quelque soit le sujet. Et à force, la poésie devient art de vivre, les vers remplacent les mots ordinaires. Ainsi, il arrive même qu'un extrait d'un Roumer, un Philoctète ou un Depestre soit préféré à un proverbe, avec la même efficacité. Marquée par les romans de Jacques-Stephen Alexis (entres autres), Jacqueline Scott-Lemoine évoque le style élégant d'un Danticat ou loue un Frankétienne qui peut écrire en français et en créole, avant de convenir toutefois qu'elle ne fait partie d'aucune école. Y a-t-il une autre raison d'écrire sinon qu'une réponse à sa nécessité même ?

Les routes qui ne promettent pas le pays de leur destination, disait René Char, sont des routes aimées. Devenue citoyenne sénégalaise en 1976, Jacqueline Scott-Lemoine revendique avec la même force sa part du Sénégal et celle d'Haïti. Toute une génération – de journalistes sénégalais, de personnalités du monde des lettres et du théâtre africains – a vu le couple enseigner et vieillir ensemble. Jacqueline Scott-Lemoine est une référence telle à Dakar qu'il arrive, s'amuse-t-elle à rappeler, qu'un chauffeur de taxi vous ramène chez elle depuis l'aéroport Léopold-Sédar-Senghor, rien qu'en évoquant son nom. Le modèle du couple, amants éternels, est sans doute pour quelque chose, mais le charisme naturel de Jacqueline et sa jeunesse figée à jamais (est-ce la poésie ?) sont indéniables. Est-ce à dire qu'elle n'a pas ses moments de doute ? Sa persévérance soulève les montagnes : quand le 13 avril 1997 son fils unique décède d'un accident de voiture à Paris, elle décide de poursuivre le chemin, pour elle, pour lui.

Aujourd'hui, tout en s'occupant de la rédaction de la revue Entracte, elle encadre Lucien Lemoine sur un atelier de recherche et de pratiques théâtrales à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Après la radio, le théâtre (sa dernière représentation a lieu en 2006 pour les 40 ans du Sorano avec L'Exil d'Alboury), Jacqueline Scott-Lemoine publie Les Nuits de Tulussia chez Présence Africaine en 2005 et une pièce de théâtre, La ligne de crête au Nègre International en 2007. Elle se pencherait déjà sur ses Mémoires (Cyvadier, ou 50 ans de feux de la rampe et autres souvenirs) dans laquelle elle tente de remonter le fleuve jusqu'à la source. Avec la liberté que lui confère sans doute cet exil assumé (en 45 ans, elle n'est retournée en Haïti que quatre fois), mais pas toujours évident parce qu'il faut, loin de l'odeur si précieuse des amandiers et de la citronnelle, puiser quelque part cette énergie nécessaire pour continuer à tourner les pages.

10 juillet 2011 : Avec nos profondes condoléances à toute sa grande famille d'admirateurs et d'amis, nous annonçons le décès de Jacqueline Scott-Lemoine, une triste nouvelle que nous venons d'apprendre par sa famille à Dakar.
Les mises à jour du dossier présentant l'auteure comprendront un extrait d'une lecture en audio, enregistré par Joëlle Vitiello en 2006, et l'entretien vidéo des 5 Questions pour Île en île, enregistré par Giscard Bouchotte en 2010.


Read more on her Major works: HERE

Comments

Popular Posts