Quand les festivités carnavalesques tiennent lieu d'uniques services culturels…


Le 26 janvier dernier a marqué le troisième dimanche pré-carnalesque – avant le 1e jour gras du Carnaval national qui aura lieu au Cap-Haïtien du 10 au 12 février prochain –, après les Discs Jockey (DJs) Cash Cash et Constant, Tony Mix était le 3e à avoir bouclé le parcours Stade Sylvio Cator, Boulevard Jean-Jacques Dessalines (Grand-rue), Rue Paul VI (Des Casernes), Champs de Mars, avant dix heures du soir !


Soit dit en passant, ce dimanche, si DJ Constant avait fait montre d’un certain intérêt à créer du spectacle en transformant le corps de ses danseuses en support pour des motifs picturaux, Tony Mix s’était réservé le droit de créer de l’ambiance et de l’animation. Quand le DJ se fait MC, parlant de Tony Mix, l’animation va de soi !

Alors que le char sonore de Tony Mix s’approchait lentement du Rex Théâtre, un carnavalier en état de grâce avouait nonchalamment : « Je suis particulièrement frustré ! Ce soir, j’avais voulu sortir en famille ! Comme il n’y a plus où aller en famille, j’ai dû me résigner à laisser ma femme et les enfants à la maison, pour être ici! ». Et dire que celui qui avait fait ses aveux, plutôt inopportuns, dansait à s’en rompre les hanches !

Alors que Tony Mix électrisait la foule du haut de son char, il va sans dire que les propos ci-dessus ont fait l’effet d’une douche froide ou, mieux encore, d’un coup d’orage dans un ciel serein ! En plus des bandes à pieds portant les t-shirts de leurs sponsors respectifs, des muni bus de publicité et maints particuliers disposaient de haut-parleurs, question d’attirer de la clientèle. Donc, au Champs de Mars, on est en pleine cacophonie !

Tout ceci pour dire que, jusque-là, nul n’aurait pu s’imaginer que quelqu’un puisse avoir mauvaise conscience en plein cœur du Champs de Mars, près de dix heures du soir, un dimanche pré-carnavalesque. L’aveu d’impuissance de ce fêtard d’une trentaine d’années, est-ce donc l’arbre qui cache la forêt ?

Le loisir : un besoin…

A la lumière des propos susmentionnés, n’importe-t-il pas de se demander comment peut-on vivre sainement dans un pays où il n’y a presque pas de loisir, sinon les bars et/ou restaurants dansants, les bordels, les drogues dures et/ou douces (dont la cigarette) ! Par ailleurs, ces aveux sont surtout révélateurs du fait que certaines gens auraient aimé être ailleurs, qu’au Champ de Mars.

Mises à part les fêtes patronales (champêtres), les périodes des bandes de « rara (carnaval rural) », les festivités carnavalesques tiennent lieu de seuls vrais services culturels du pays. Bien avant le douze janvier 2010, il n’y avait déjà pas lieu de parler de loisirs et de services culturels en Haïti ! Trois ans après, la note s’avère encore plus salée.

Par services culturels, on entend toutes les activités immatérielles qui répondent à une demande de la part des consommateurs et qui se traduisent par des mesures d’appui public (création d’instances et de mécanismes étatiques) et/ou privé (fondations, entreprises privées…) comme la promotion de spectacles, de films, etc. Somme toute, les industries culturelles comprennent la cinématographie, l’audiovisuel, l’industrie de l’édition imprimée ou encore le multimédia.

L’espace de quelques dimanches, les festivités carnavalesques ne sauraient répondre aux besoins de loisirs des uns et des autres sur toute une année.

En conséquence, disons que le loisir fait partie intégrante des besoins essentiels de l’être humain entendu que le délassement et le spleen peuvent découler directement de la tension engendrée par les soucis quotidiens. En ce sens, le loisir se veut réparateur des détériorations physiques et psychiques occasionnées, entre autres, par le travail, l’angoisse, la dépression.

En termes de loisirs pérennes, de biens culturels et/ou publics, le concept de « services culturels » suppose qu’il existe toute une chaîne industrielle œuvrant pour le renforcement, la sauvegarde, la conservation, la valorisation et l’appropriation du patrimoine culturel (matériel et immatériel) d’un pays. Avec le temps, les biens culturels finissent par être dépositaires d’une mémoire et conscience collectives, d’une « conscience de soi » du citoyen dans la culture et, ainsi donc, d’une citoyenneté responsable.

D’aucuns pensent que les crises de valeurs identitaires et de repères culturels constituent, pour toute société humaine, le problème fondamental et essentiel. Le cas échéant, comment y remédier en ce qui se rapporte à Haïti ; si les festivités carnavalesques deviennent, chaque jour un peu plus, les seuls services culturels et lieux de loisirs du pays ?

Antoine Hubert Louis

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